P.P.: Post Posté

Lettre postée, post lettré

Périscope, une vie en périphérie

Cher George,

 De mon côté de l’Atlantique, voilà beaucoup de mouvement. Tu n’es pas sans savoir que la loi Travail a soulevé les foules en France et voici maintenant cinq jours que les rues de Paris, notamment la place de la République sont occupées par les manifestants. Tu peux d’ailleurs suivre ce qu’il s’y passe en direct grâce à l’application Périscope.

 Véritable outils de téléportation, Périscope permet de vivre plusieurs vies à la fois, en étant à plusieurs endroits au même moment. Qui n’en a pas rêvé ? Cela me fait penser à la discussion que nous avions eu tous les deux plus tôt dans l’année à propos du fait que l’on ne vit plus qu’à travers les médias numériques la vie qui se passe. Nous en disions que cela permettait d’avoir la vue la plus large possible sur les événements et je pense que Périscope nous permet d’être au plus près de l’action puisqu’il n’y a aucune censure possible étant donné le caractère continu et en direct des images, si ce n’est le cadrage de la personne qui filme… Je te l’accorde c’est déjà beaucoup.

 Mais c’est aussi un peu bizarre de « vivre » ou plutôt d’assister, de contempler, un moment, un événement auquel on participe sans réellement y participer. Nous sommes passifs, spectateur d’une réalité transmise par des ondes, muets et impuissants face à notre écran qui nous transcrit des données.

 Je trouve que c’est assez intéressant à analyser. Je me pose des questions. Est-ce qu’un jour tu crois, Périscope aura le même statut qu’à eu la télévision ? Une fenêtre inversée sur le monde qui permet un certain voyeurisme bien au chaud à l’abris dans son lit. Voire une vie par procuration si les stars commencent à l’utiliser et à se filmer dans leur intimité, ce qui je pense, ne devrait pas trop tarder.

C’est drôle de voir que les technologies évoluent, mais par leurs buts.

Bon courage pour ta fin de session, n’oublie pas de dormir !

Alfred

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Amaro mon amour

Cher Alfred,

 Je suis tombé sur un article qui présentait la démarche d’Essena O’Neill, connue pour ses post Instagram et ses vidéos Youtube exposant une vie de rêve, aux paysages magnifiques, aux vêtement luxueux, au corps dit « parfait » de notre société, etc. Il y a quelques temps elle postait une vidéo, annonçant qu’elle quittait les réseaux sociaux, dénonçant le mal être dans lequel elle était après avoir pris conscience que tout ce qu’elle postait n’était qu’imposture et mise en scène, une fausse vie de rêve pour récolter des « likes », des commentaires admiratifs, voire des produits gratuits à exposer dans ses photos. Elle y explique la souffrance qu’elle a ressenti en ouvrant les yeux sur son activité journalière et qui occupait tout son temps : « essayer de faire le post le plus incroyable de la journée en attendant l’amour des autres, prouver aux autres sur internet que je suis cool, que j’ai de la valeur ». Ça rejoint un peu ce que je te confiai encore il y a peu.

 Mais pour te mettre au courant de cette annonce, je n’ai pas choisi n’importe quel article. Car tu trouveras dans cette lettre un double commentaire. Non seulement on peut constater la mise en lumière d’un business numérique qui pousse les jeunes gens à accepter une fausse réalité comme une vie rêvée à atteindre (dixit Essena : Je voyais les filles considérées comme les plus belles avec une taille fine et je me regardais dans le miroir en me détestant. J’allais voir sur internet les mesures que devaient avoir les mannequins pour me mettre à leur niveau. (…) Je voyais toutes ces filles qui avaient de beaux vêtements, des voyages, des soirées, et je me disais : je veux ça ! (…) Mais c’est pas la réalité tout ça. On ne vit pas dans la vie réelle, on vit dans le but de montrer une vie parfaite, alors que je passais mes journées à prendre et reprendre des photos pour qu’elles soient parfaite.), mais je voulais aussi et surtout montrer le ton employé dans l’article de Grazia, magazine de la presse féminine. Je te laisse lire l’article et en juger.

 De mon côté, j’en retire que pour l’auteur de cet article, récolter des milliers de vues sur Youtube est « un vrai jackpot », et récolter des likes sur Instagram est quelque chose d’enrichissant puisqu’elle considère qu’Essena O’Neill en a « bien profité »(on note la petite touche amère qui sous-entend « cette fille est ingrate et crache dans la soupe »). Ainsi l’approbation virtuelle est devenue le nouvel idéal à atteindre, lorsqu’il y a peu l’idéal était de voyager un maximum pour prouver qu’on pouvait se le permettre, aujourd’hui le but à atteindre est le maximum de commentaires sur la photo du voyage et récolter de l’amour virtuel quitte à passer totalement à côté de son voyage.

 Aussi je note une troisième réflexion avec le fait que pour la communauté virtuelle le fait qu’elle ne se « maquillait plus » et qu’elle « ne voulait plus rencontrer de marques » était les signes d’une dépression… Donc le fait de ne plus se conformer aux modèles de la société, le fait de disposer de son corps naturellement et le fait de vivre sa vie « en dehors » des offres de consommation (enfin du moins de cesser de s’offrir comme femme sandwich) est la démonstration qu’il y a quelque chose qui ne va pas…

 Je t’avoue que je ne sais pas si j’ai envie de rire ou de pleurer. Un peu des deux… Un rire triste. Un rire amer. Un rire écoeuré. Ça me donne envie de fuir, tout lâcher et partir avec toi à l’aventure, loin, vers des terres sauvages; profiter du silence d’un coucher de soleil et ancrer dans ma mémoire des images éclatantes, bien plus que celles sous le filtre Amaro.

Prépare ton sac à dos,

George

Webucation

Cher George,

 Ces temps-ci je te sens un poil pessimiste. Différents facteurs en sont la cause, je les connais. Et c’est pour cela que je voulais partager avec toi une pensée un peu plus positive quant à nos médias numériques, notamment internet. Je voulais te parler de la « Webucation » (anglicisme auquel je n’ai pas trouvé de bonne traduction). Je pense que tu l’as compris assez vite, la webucation est le fait d’apprendre sur internet. Ce phénomène se généralise et devient de plus en plus la norme; qui n’a jamais répondu à une demande d’explications par « Attends, on va regarder sur internet »? Ou qui n’a jamais tapé dans la barre de recherche « comment faire / DIY » ? Ou encore, on observe de plus en plus des élèves qui sont presque obligés d’approfondir leurs cours grâce à des « tutos » sur internet, je pense notamment à ceux qui apprennent de nouveaux logiciels, ou qui ont besoin d’explications plus claires si le professeur n’a pas pu aider tout le monde (aparté : surtout si la classe est surchargée…), etc.

 Cette mise en commun des connaissances nous rend autodidactes, nous sommes capables d’apprendre à danser, à faire la cuisine, à fabriquer de nos mains, on peut apprendre un instrument de musique, avoir accès à des ouvrages, etc. Les possibilités sont infinies. Et tout ça gratuitement !

 Quand tu connais mon penchant pour une société allant vers le partage, le bien commun et l’entraide, tu peux te douter que je trouve ça assez beau.

 Après, est-ce que cela nous isole, dans notre chambre devant notre écran, lié à l’autre seulement par le biais d’un cordon virtuel ? Peut-être… Mais au moins on apprend. Libre à nous de savoir faire la part des choses et de comprendre que le monde humain est aussi épanouissant; quitte ensuite à partager notre savoir-faire autour de nous, dans la rue, à nos amis, nos enfants…

 Profite dont de cet outil de partage, et apprends une nouvelle langue par exemple ! Ça t’occupera l’esprit dans cette mauvaise période.

Prends soin de toi,

Alfred

« Nous sommes en train de jouer à un jeu bizarre »

Cher Alfred,

 Je t’en prie, visionne ce documentaire. Il décrit la société dans laquelle nous vivons, société inconsciente qui fonce droit dans le mur et qui se fiche des conséquences tant qu’elle peut vivre toujours plus, toujours plus vite, toujours plus fort.  On y comprend aussi le système de la société capitaliste et son schéma cyclique : travailler, pour produire plus, pour consommer plus, ce qui créera du travail, pour consommer encore plus rapidement, plus facilement.

 Dans cette société où l’on veut tout avoir tout de suite, et où l’argent est devenu le moteur non seulement économique mais aussi psychologique, qui nous pousse à mettre de côté le bon sens et la dignité humaine, nos vie sont réglées et orchestrées par des algorithmes toujours plus puissants pour qui l’être humain n’est qu’une donnée informatique variable et manipulable afin de générer un maximum de « richesse ».

 Quand avons-nous virer, Alfred ? À partir de quel moment avons-nous cédé à cette folie ? Comment avons-nous pu remplacer la légitimité des valeurs sociales au profit des valeurs matérielles ? Ces questions me désolent.

 Mais heureusement, ce documentaire décrit cette société dans une première partie, mais surtout met en lumière les alternatives qui prennent vie et que les pessimistes pensent vaines. Des initiatives citoyennes fondées sur l’entraide et le partage, des monnaies locales qui remettent l’argent à sa juste place, tout un tas de projets propulsés par l’envie d’un monde meilleur et épanouissant, en réponse à celui que l’on nous impose et que l’on accepte sans broncher, en courbant l’échine. Révolte-toi Alfred ! Révoltons-nous. Réalisons un monde où la récompense du travail est la joie de pouvoir partager un repas chaleureux entourés de personnes qui auront autant travaillé pour que tout le monde puisse manger et se sentir en paix. Réalisons un monde bienfaisant, que l’on aurait envie d’offrir aux futures générations, sans avoir honte de les avoir mises au monde en n’ayant rien à leur offrir de bon.

 Je n’ai que faire de rêver. Ouvrons les yeux et libérons-nous d’une société qui nous maintient au Xanax; agissons plutôt que de s’humilier encore plus. « Ensemble, tout devient possible », c’est Sarkozy qui l’a dit.

Qu’attends-tu pour vivre honnêtement ?

George

C’est la luuuuuteuh finaaaale

Cher Alfred,

 J’en discutais avec Dixmoijoues la semaine dernière, et voilà que l’actualité offre la meilleure illustration à nos propos. Je suis persuadé que tu as vu passer sur l’écran de ton ordinateur un certain nombre de posts sous le ashtag #onvautmieuxqueça. Un ashtag qui devient slogan, des posts qui se multiplient, une vague de vidéos engagées sur youtube, des pétitions, des claviers qui chauffent; une révolte va bientôt naître, et la toile s’occupe de sa gestation.

 L’étincelle ? Le projet de loi El Khomri, qui réorganise le code du travail en France. Réforme que les travailleurs ont du mal à avaler, et dont les libéraux se délectent déjà. La nausée qui monte face au pathétique massacre des valeurs sociales chères à la France par la gauche elle-même, provoque une réaction violente chez ceux qui en subissent les réelles conséquences, tandis que le mouvement de masse s’amplifie de façon exponentielle lorsque la nouvelle génération s’y met, à coup de communication virtuelle et d’effet buzz.

 Une première révolution a déjà lieu; à travers les écrans la population clame son ras-le-bol, tous les réseaux sont mobilisés, tout est bon pour rendre ce soulèvement viral. Mais la question que je me pose, c’est est-ce que la rue va suivre ? J’ai très peur que la manifestation, pour la plupart, s’arrête aux portes de l’internet… Mais peut-être que cela suffit à notre époque; qui sait ? Puisque comme je le disais, la toile est devenue le simulacre de la rue… J’ose tout de même espérer que l’on aura la volonté d’y retourner pour appuyer nos posts, bousculer les ordres qui nous enchaînent, soulever les valeurs auxquelles nous tenons, et prouver que nous existons réellement et que nous ne sommes pas que des données.

 En attendant c’est très intéressant de constater la viralité d’un phénomène, et d’apprendre comment il peut prendre de l’ampleur pour peu que la jeune génération et ses supports soient utilisés. Quant au phénomène #onvautmieuxqueça, plus qu’une prise de conscience j’espère qu’il soulèvera tout de même bien plus que les doigts sur les touches des claviers et que les esprits sauront s’ouvrir pour agir et défendre la dignité humaine.

« Sauvons-nous nous-même »

George

Les mots et les actes, deux mondes bien distincts

Source : Ognon, nénufar ?

Chère Dis moi Joux,

 Ton article sur la réforme orthographique m’a interpelé. Non pas que j’alimenterai le débat « QUOOII ?? NOTRE CHÈRE LANGUE FRANÇAISE EST BAFOUÉE  ?? », qui selon moi en cache un beaucoup plus important, qui est celui de l’éducation. Si les petits Français ont tant de mal à l’école et développent une phobie de l’orthographe et de la conjugaison, ce n’est pas la langue qui est trop compliquée, mais bien les méthodes d’apprentissage qui faussent. J’aurais énormément de choses à dire sur le système d’éducation français qui décline chaque année un peu plus, à mon grand dam connaissant les bienfaits d’une pédagogie épanouissante; mais c’est plutôt sur le début de ton article que j’aimerais mettre l’accent. Tu y écris que grâce à Facebook nous avons les moyens de faire bouger les choses. Je suis tout à fait d’accord et j’aimerais parler un peu de ce phénomène.

 La création d’un ashtag, et voilà toute la communauté qui s’exprime, se révolte et s’injure. L’information se propage, l’évènement prend de l’ampleur, tout le monde à quelque chose à dire, et les instances reviennent sur leur décision ! Et tout cela s’est passé virtuellement, sans que personne n’ait eu besoin de se déplacer. Pas besoin de risquer d’aller dans la rue pour manifester, la masse virtuelle est devenue autant voire plus imposante que la masse de la rue, puisqu’elle peut se soulever à l’international et qu’elle est inarrêtable . Les réseaux sociaux sont devenus le simulacre de la rue, et les ashtag ont plus de pression que les actes de manifestation qui eux, sont totalement rembarrés par la police. Au final c’est peut-être une bonne chose, plus besoin d’aller se prendre des parpaings sur la figure et du poivre dans les yeux, je peux rester au chaud devant mon écran pour faire entendre ma voix. Ah mince on a senti mon amertume ?

 Mais je m’égare, le problème des manifestations n’est pas le sujet. Les réseaux sociaux sont devenus le nouvel outil des révolutions (un exemple avec le Printemps Arabe qui a su tirer profit de cet outil), mais tout comme ils peuvent servir de nobles causes, leur « confortabilité » d’utilisation met aussi en lumière tout un tas de joutes affligeantes, qui elles aussi profitent de la puissante exposition qu’offrent les réseaux sociaux.

 La question est maintenant, de tous ceux qui s’expriment avec leur clavier, combien seraient vraiment prêts à agir réellement et concrètement pour les causes qu’ils défendent?

Mes amitiés,

George

Extrême extime, à la conquête du sens

Cher Alfred,

 Hier soir, par quelconque vague à l’âme, me voilà les pupilles noyées sous les eaux. C’est donc comme à l’habitude que je me munis de la plume pour coucher les mots, symboles des abstractions qui secouent mon esprit. Une fois la page griffonnée, me voilà apaisé. Je relis ces idées, et… c’est beau ? Je m’enivre de ce texte, qui m’a été si bénéfique, les sons résonnent dans ma tête, les phrases me bercent de leur musique, la poésie inconsciente me révèle ce qui me tourmente. Et c’est à ce moment que je me déçois.

 Non sans fierté, et c’est bien là que j’échoue, qu’ai-je directement pensé ? « Il faut que je le publie. » … Je suis triste d’en être arrivé à ce point dépendant d’une culture de l’extime, où l’on n’hésite pas à dévoiler sa part la plus intime pour recevoir l’approbation et l’admiration des autres. Une culture du « like » et du commentaire, par laquelle on se crée un miroir teinté de narcissisme et, paradoxalement d’une confiance en soi qui fait défaut. Parce que je n’ai pas confiance en moi, j’expose les aspects les plus attrayants de mon être, pour me contenter dans les retours flatteurs de mes pairs.

 Ce texte n’était en rien destiné à être dévoilé. Il est l’expression de mes maux les plus profonds, et a agi en catharsis, sans laquelle je serais toujours à humecter mes pauvres taies d’oreiller. C’était un outil. Un bel outil. Et voilà que d’un coup de vantardise, je balaye sa noble fonction pour le descendre au statut de bibelot à exposer en vitrine.

 Je parle de texte, mais il en va de tout; des photos aux prestations, des actions aux revendications, tout ce qui peut montrer aux autres que nous valons la peine. Ceci découlerait-il d’une sorte de peur ? D’angoisse ? Celle face l’absurdité de la vie… Nous ne sommes rien, on naît, on meurt, et qui vraiment se soucie de notre existence ? C’est difficile de se dire, lorsque depuis que nous sommes nous nous construisons autour d’un « Moi », que finalement, si l’on n’existait pas, ça ne serait pas très grave… Alors on s’accroche à tout ce qui pourrait faire valoir notre être. Serait-ce la poursuite incessante de la vie ? Combattre l’absurdité et pouvoir dire « je ne suis pas né pour rien ».

 Je comprends cette angoisse puisqu’apparemment j’ai l’air de la vivre autant que les autres, mais j’ai bien peur que jamais on ne trouve de remède. Cela fait des siècles que nous cherchons. Autant accepter notre condition et attendre que cela passe en essayant d’avoir le séjour le plus agréable.

Prends soin de toi,

George

P.S.: Du coup je ne l’ai pas publié.

 

Le bonheur, graal devant nos yeux fermés

Cher George,

 Notre discussion à propos du cours que tu as reçu sur l’École de Francfort m’a vraiment intéressé. À la suite de notre échange, j’ai beaucoup réfléchi à la question qui a été posée. « Penses-tu que nous vivons dans une société autoritaire, que l’on se conforme à une certaine aliénation ? »

 Pour y répondre, tu as avancé l’exemple d’une scène du « Mirage » de Ricardo Trogi, dans laquelle le couple est en train d’éclater suite à la faillite de leur compte bancaire à cause d’une surconsommation. La femme demande au mari : « Pourquoi tu ne m’as pas dit qu’on était dans le rouge ». À lui de répondre : « J’avais honte ».

 Pour toi, dans la mesure où le fait de ne plus pouvoir consommer, de ne pas pouvoir atteindre « la vie idéale », le modèle que la société nous inculque (la grande maison, la grosse voiture, tout l’équipement possible, le chien, l’école privée, etc.) devient honteux, voire que cela nous rend triste ou nous donne l’impression d’être dévalorisé, prouve l’emprise qu’a la société sur nos esprits. 

 Je suis d’accord avec toi. Mais les temps sont en train de changer. Cet objectif (le modèle de vie que tu décris) était couru par nos parents, nos grands frères à la rigueur, et même encore par certains jeunes de notre âge. Mais plus le temps passe, plus cette vision de la vie s’éteint en tant qu’idéal. Elle est de plus en plus remplacée par une sorte de « prise de conscience » sur la société de consommation, et au lieu de rêver d’une maison et d’un travail « sûr » dans un bureau, la nouvelle génération recherche de plus en plus son bonheur et son contentement dans les voyages, le social, et les contacts humains (on voit même des idées émerger comme par exemple celle de la décroissance, dont je comprends les motivations même si je lui préfère le terme de progrès). C’est peut-être dû au fait que justement nous avons des cours sur ce phénomène qu’est la société de consommation, cours qui n’étaient pas dispensés à nos parents, et c’est en partie grâce à eux que nous en prenons conscience. Aussi par le fait que ce phénomène dure déjà depuis pas mal de temps et que nous avons donc un peu plus de recul pour l’observer et en mesurer les conséquences, même si nous y sommes totalement plongés.

  Quant à savoir si ce nouveau phénomène est dicté par la société, je te dirai… Oui du coup, selon moi. Du moins indirectement. Puisque c’est une sorte de « mini révolte » en réponse à cette société.

 Je répondrai donc à ta question en disant que, oui, nous vivons dans une société aliénante dans la mesure où perdre son emploi, ne pas travailler, donc ne pas avoir d’argent pour pouvoir consommer (ne serait-ce que les produits de première nécessité qui sont payants), nous fait extrêmement peur (et je te renvoie à l’article sur les manifestations qui ont lieu en ce moment en Tunisie contre le chômage). Mais j’ai confiance en la prise de conscience qui est en train d’opérer en ce moment. Cela prendra peut-être du temps, voire n’améliorera rien à la condition des hommes, mais j’ai l’intime conviction que nous assistons aux prémices d’une transition et d’une nouvelle société. J’espère simplement ne pas être déçu par les instincts méprisables de l’homme… Et j’ai bien peur d’être moins optimiste sur ce point. 

J’espère que le monde te sourit,

Alfred

Post Scriptum : Voici le lien vers un article dans lequel j’ai trouvé énormément de points communs à ma pensée. Je t’embrasse.

📝

❄️❄️❄️❄️🇺🇸😨😱😱 🍁😂😂😂

Cher Alfred,

 Comme tu le vois, je m’amuse énormément de la réaction des Américains face au « Snowzilla » de ces derniers jours ! Cela me fait beaucoup rire de les voir en faire tout un plat quand la ville se couvre d’un manteau blanc, alors qu’ici au Québec, ce manteau blanc, ça fait bien longtemps qu’il est passé au titre de grosse doudoune bien rembourrée du bonhomme Michelin !

 C’est drôle, quand j’y pense, mon premier réflexe a été de t’envoyer un message pour te le dire, ou plutôt… te l’écrire le montrer ! En quelques secondes je t’ai envoyé un rébus qui contenait l’information, l’émotion et l’intonation ! Sans un seul mot. Et ce n’est pas pour me vanter, mais je trouve ça assez impressionnant ! Tant pour son aspect ludique, que pour le fait que ce genre de « conversation » sans mot soit devenu totalement courant.

 Te souviens-tu au départ pourquoi nous avons commencé à utiliser ce genre de signe tous les deux ? De temps en temps, l’un de nous se prenait à en vouloir à l’autre parce qu’il n’avait pas capté le ton ironique ou humoristique d’un message écrit sur MSN… Alors nous avons commencé à ponctuer nos phrases de petits « smiley » pour faire comprendre à l’autre notre état d’esprit. Et puis petit à petit c’est devenu bizarre, voire presque agressif de ne pas mettre un petit bonhomme qui sourit à la fin d’un « Bonne nuit ». Pour ma part, j’en deviens même à être gêné lorsque je dois envoyer un mail professionnel, et que je m’empêche de rajouter le fameux  🙂  à la fin d’une phrase pour signaler que « non, je ne suis pas hautain et insensible, je suis sympathique et je vous dis tout cela avec le sourire ! » . C’est dingue quand on y pense. Comment ces petits signes sont-ils devenus des extensions de la langue ?

 Peut-être pour faire passer, justement, un minimum d’ « humanité » (ou du moins un signe qui montre qu’il y a bien un humain à l’autre bout du fil), dans un monde qui se fait de plus en plus individualiste et où chacun s’enferme plus ou moins dans sa bulle, communiquant à longueur de journée à travers des plateformes informatiques.

 Peut-être aussi pour faciliter les échanges, puisque le monde entier est connecté, il faut bien que tout le monde se comprenne. Les émoticônes seraient-ils devenus l’Esperanto qui a fonctionné ? C’est ce qui semble être en tout cas. Et les marques l’ont bien compris ! Ils n’hésitent pas à jouer avec ce nouveau langage pour attirer plus de jeunes et plus de monde. De Mcdonalds avec son spot publicitaire où les hommes ont des smileys à la place de leur tête, à Chevrolet qui envoie un communiqué de presse entièrement en émojis, en passant par Dominos’Pizza qui propose de commander directement sur twitter grâce au « 🍕 ».

 Je ne sais pas vraiment quoi en penser. C’est un peu comme si on revenait au temps des hiéroglyphes. C’est amusant. Et puis ça met de la couleur. C’est joli. Mais je ne sais pourquoi, je sens que je n’ai pas fini de me ruiner en collyre pour soigner mes petits yeux qui brûlent un peu plus chaque jour face au spectacle affligeant d’une langue française bafouée… Eh ! Peut-être quelle est là la solution ! Plus de mots, plus de fautes! …

 

J’espère que tu vas bien,

George

Le vintage, ou la commercialisation des souvenirs

Cher Alfred,

 Je t’ai envoyé un colis contenant le vinyle de Deluxe que tu vas pouvoir écouter avec ta nouvelle platine et ajouter à ta collection qui grandit de plus en plus. 

J’ai aussi commandé un appareil photo Polaroïd pour l’anniversaire de mon amie Sylvia qui en désire un depuis quelques temps. Quant à moi, je compte sérieusement faire l’acquisition de ce nouveau gadget qui permet de transformer son téléphone en caméra Super 8.

 Je me demande d’où vient cette mode… Cette envie que nous avons développée de posséder un objet du passé. Comment en sommes-nous arrivés à vouloir adopter ce style dit « vintage ». Ce style de notre enfance. Celui de nos parents.

 Serait-ce par peur ? Peur de grandir ? On se rattache à la nouvelle-ancienne gameboy qui vient d’être remise sur le marché et qui nous fera revivre, le temps d’un instant, nos années d’enfance naïves. Au fond, c’est vrai que c’était facile la vie à ce moment là. Alors tous les moyens sont bons pour faire durer ce moment.

 Ou alors serait-ce par peur de l’avenir ? Tout va de plus en plus vite. Trop vite. On ne suit plus… Du jour au lendemain nous voilà dépassés; il faut apprendre un nouveau système, un nouveau langage. Alors on s’accroche à ce que l’on connaît. Ce qui marche. Enfin plus ou moins. Mais au moins on y est habitués. C’est plus facile. Et c’est rassurant.

 Le problème c’est que tous ces objets, ressuscités, produits et distribués de nouveau aujourd’hui, n’ont pas du tout la même portée que leurs ancêtres. Ils ont le goût de la nostalgie, tout en n’étant que de simples gadgets, des jouets pour les grands enfants que nous sommes, futiles et superficiels, ayant perdu toute l’utilité et l’âme de leurs semblables, usés par nos parents et nos grand-parents.

 Ce qui me rend triste Alfred, c’est de voir à quel point tout est devenu puit à recettes. Même nos craintes.

Tu penses retrouver une certaines authenticité dans tous ces objets, alors que tu ne fais que céder à cette tendance, générée par une nostalgie que s’est appropriée l’industrie.

  Cette mode a aussi ses côtés comiques ! C’est assez drôle de voir dans les quartiers branchés, des jeunes portant des habits tous plus ringards les uns que les autres, tout droit sortis des décennies passées. « Plus c’est ringard, plus c’est à la mode ». Une amusante antithèse qui résume bien cette tendance, dans laquelle je plonge la tête la première. Un paradoxe, peut-être symbole d’une génération qui se cherche et qui ne sait à quoi s’attendre avec le monde qu’on lui a laissé…

  Quoi qu’il en soit Alfred, j’espère que tu apprécieras le vinyle que je t’envoies. Il allie la forme du passé avec la musique du présent, le tout en utilisant la technologie du futur puisque je l’ai fait imprimer en 3D. La qualité n’en est donc peut-être pas exceptionnelle mais j’aime à penser que cela en fait un objet unique dont la valeur n’est due qu’à l’affection que j’y ai mis et que je te porte.

Je t’embrasse,

George